LE professeur Joao de Aguiar, délégué du Brésil, président en exercice de l’Unesco, monta à la tribune et fit face à l’assistance. Il était en habit. Dans la grande salle des conférences, il y avait ce soir non seulement des savants, des diplomates et des journalistes, mais aussi le Tout-Paris très parisien et le Tout-Paris international.
Au-dessus de la tête du professeur de Aguiar, le plus grand écran de TV du monde occupait presque tout le mur du fond. Il allait recevoir et montrer en relief holographique l’émission partie du fond du Puits, émise par l’antenne d’EPI 1 et relayée par le satellite Trio.
L’écran s’alluma. Le buste gigantesque du président y apparut, en couleurs douces, un peu flattées, et en relief parfait.
Les deux présidents, le petit en chair et sa grande image, levèrent la main droite en un geste amical et parlèrent. Cela dura sept minutes. Voici la fin :
« ... Ainsi une salle a pu être taillée dans la glace, au milieu même des ruines extraordinaires que celle-ci tient encore prisonnières. Sauf les quelques héroïques pionniers de la science humaine qui ont creusé le Puits avec leur technique et leur courage, personne au monde ne les a encore vues. Et le monde entier va, dans un instant, les découvrir. Quand j’appuierai sur ce bouton, grâce au miracle des ondes, là-bas, à l’autre bout du monde, des projecteurs s’allumeront, et l’image révélée de ce qui fut peut-être la première civilisation du monde s’envolera vers tous les foyers de la civilisation d’aujourd’hui... Ce n’est pas sans une émotion profonde... »
Dans sa petite cabine, le réalisateur surveillait sur l’écran de contrôle l’image du président. Il abaissa son pouce en même temps que lui.
Au bout du monde, la salle de glace s’alluma.
Ce que virent d’abord tous les spectateurs du globe, ce fut un cheval blanc. Il était debout, juste derrière la surface de la glace. Il paraissait mince, grand, étiré. Il semblait en train de tomber sur le côté en hennissant de frayeur, les lèvres retroussées sur ses dents. Sa crinière et sa queue flottaient, immobiles, depuis 900 000 ans.
Le tronc brisé d’un arbre gigantesque était jeté en travers, derrière lui. Dans les palmes de son feuillage, au plafond de la salle, apparaissait la gueule ouverte d’un requin. Une volée d’énormes escaliers, ou de gradins jaunes descendant de la nuit, s’enfonçait dans la nuit.
En face, une fleur flamboyante, grande comme une rosace de cathédrale, étalait de trois quarts la chair de ses pétales pourpres. Sur sa droite, se dressait un pan de mur déchiré, couleur de gazon, d’une matière inconnue, pas tout à fait opaque. Il s’y ouvrait une sorte de porte, ou de fenêtre, à travers laquelle étaient projetés, immobiles, un petit rongeur à la queue en pinceau, les pattes en l’air, et un vol d’oursins bleus. Plus bas, s’amorçait le sommet d’une large piste hélicoïde faite d’un métal qui ressemblait à de l’acier. Elle apparaissait dans la brume laiteuse du monde glacé.
La deuxième opération commença. Une manche à air fut dirigée vers la paroi qui contenait le pan de mur. Aux yeux du monde entier, le premier fragment du passé enseveli allait être délivré de sa gangue.
L’air chaud jaillit et se cogna à la glace qui se mit à ruisseler. Une suceuse aspirait la buée, une autre avalait l’eau de fonte et la renvoyait à la surface.
La paroi de la glace fondit, recula, se rapprocha du mur vert et l’atteignit. Et sur les écrans, l’image gondolée, déformée par les lentilles ruisselantes des caméras blindées, montra ce phénomène incroyable : le mur fondait en même temps que la glace. Les oursins et le rongeur-les-pattes-en-l’air fondirent et disparurent.
L’air chaud avait envahi toute la salle. Toutes les parois ruisselaient. Du plafond, des cataractes coulaient sur les hommes en scaphandre. Les palmes de l’arbre fondirent, la gueule du requin fondit comme un chocolat glacé. Deux jambes du cheval et son côté fondirent. L’intérieur de son corps apparut, rouge et frais. La fleur pourpre coula en eau sanglante. L’air tiède atteignit le haut de la piste hélicoïdale en acier, et l’acier fondit.